Le géant du e-commerce chinois, Alibaba, entre en bourse cette semaine aux Etats-Unis. Mélange d’Amazon, d’eBay et de PayPal, avec un volume d’affaires qui dépasse ces trois sociétés américaines réunies, le site chinois a été surnommé le « plus grand bazar du monde ». Visite, avec Smart, du quartier général d’Alibaba à Hangzhou, au sud-ouest de Shanghaï. Et revue de presse de cette opération financière de grande ampleur.
VOYAGE AU COEUR DE L’ALIBABA CHINOIS
SUR UNE CARTE DIGITALE GÉANTE, des milliers de petites lumières bleues s’allument et s’éteignent. À chaque fois, en temps réel : une transaction. Visiblement, le commerce est concentré à l’est, sur la zone côtière, près de la mer de Chine, dans une large bande qui va de Beijing (la nouvelle transcription de Pékin) jusqu’à Guangzhou (Canton). À l’ouest, en revanche, peu de transactions. Au sud-est, une île, Taïwan, figure en jaune, à l’image du reste du pays, et semble être considérée comme une simple « province ».
Le tableau de bord de l’entreprise, douze mètres de long sur dix mètres de haut, est divisé en dix-huit écrans plats. Sur l’un d’entre eux, le nom des marques faisant l’objet d’achats au moment même s’affiche brièvement : Adidas, L’Oréal, Unilever, Gap, Ray-Ban, Levi’s, Shiseido, Zara, Total, Samsung ainsi que de nombreuses autres marques locales, inscrites en mandarin. De cette tour de contrôle extravagante se dessine, grandeur nature, la Chine numérique.
« On a l’ambition, à long terme, d’être une entreprise globale, mais pour l’instant on se satisfait d’être le leader national du e-commerce », affirme Jianbing Gujb, dit « Alex », le directeur marketing d’Alibaba. Il est en short blanc, tee-shirt et baskets Puma. « Le costume est un habit occidental. Nous, on s’habille de manière plus cool », souligne Alex. Parmi les 8 000 salariés qui travaillent sur ce site (24 000 au total), dont la moyenne d’âge est d’environ 27 ans, « personne ne porte de cravate », ajoute-t-il.
L’homme est assis, lorsque je le rencontre, dans un café Starbucks, intégré au sein même du groupe, dans son quartier général à Hangzhou. À une heure de train rapide, au sud-ouest de Shanghaï, la préfecture de la province du Zhejiang est une ville de plus de cinq millions d’habitants.
LES CLONES
Créé en 1999 par Ma Yun (occidentalisé en Jack Ma), spécialiste des arts martiaux et professeur d’anglais devenu milliardaire, Alibaba est le symbole du web chinois – et Ma Yun son Steve Jobs. Mélange d’Amazon, d’eBay et de PayPal, avec un volume d’affaires qui dépasse ces trois sociétés américaines réunies, le site chinois a été surnommé le « plus grand bazar du monde ». On y vend, on y achète, on y fait du commerce, entre particuliers, entre entreprises, entre particuliers et entreprises, dans ce qui est politiquement le plus grand pays communiste et, économiquement, le premier État capitaliste de la planète. L’image serait presque parfaite, et l’histoire une remarquable success story, si Alibaba n’était pas un clone.
AVEC SON SITE TAOBAO, Alibaba a copié eBay. Avec Tmall, il a réinventé Amazon. Avec Alipay, il a réimaginé le paiement en ligne, façon PayPal. Et avec China Yahoo, il a pris le contrôle de Yahoo en Chine (même si, théoriquement, Yahoo continue à être actionnaire d’Alibaba à hauteur de 24 %). Si on ajoute à ces actifs une plateforme spécialisée dans les transactions entre professionnels – le modèle économique initial d’Alibaba –, un site bancaire de prêt aux petites et moyennes entreprises, des services d’assurance en ligne et un service innovant de cloud computing (Aliyun), on a une idée de l’empire Alibaba. « Notre force, c’est l’ampleur du marché national, poursuit Alex. L’internet en Chine n’est plus un secteur délocalisé ni de sous-traitance, nous avons nos propres entreprises. Notre fragilité, c’est la créativité et l’innovation. On a les meilleurs ingénieurs, mais on manque d’idées et de brevets. Alors on regarde ce qui se fait ailleurs. Mais toutes les entreprises américaines ont échoué ici : YouTube, eBay, Yahoo, Google, Twitter n’ont pas réussi à s’implanter. On les a battues. »
Battues, ou plagiées ? Les clones sont la solution inventée par la Chine pour résoudre un problème de créativité doublé d’un problème existentiel : comment construire un internet puissant sans être dominé par les Américains ? Comment innover quand on manque d’idées ? La solution s’appelle Renren (prononcez Jenjen, le Facebook chinois), Youku (YouTube), QQ (MSN), Weibo (Twitter), Beidou (GPS), Meituan (Groupon), Weixin (WhatsApp) et surtout Baidu (prononcez BY-doo, un moteur de recherche qui ressemble à Google). Leurs « modèles » américains ont été soit interdits, soit bloqués et censurés, soit rachetés – sans réel motif officiel puisque rien n’interdit, a priori, à un site américain d’être présent sur le territoire chinois. En visitant la plupart de ces clones dans une dizaine de grandes villes chinoises, ainsi que leurs filiales à Hong Kong, Singapour ou Taïwan, j’ai compris que les Chinois voulaient avoir accès aux mêmes sites et services que les Américains, sans pour autant dépendre d’eux. Et qu’il suffisait donc de les dupliquer.
(Extrait de Smart, Enquête sur les internets, chapitre 2 : « Alibaba et les quarante voleurs »).
Pour aller plus loin et pour suivre l’actualité de l’entrée en bourse d’Alibaba :
– Portrait de Jack Ma, fondateur d’Alibaba dans le New York Times
– La stratégie d’Alibaba
– Le modèle économique d’Alibaba
– La rentrée en bourse : vu par La croix, Le Monde.