Yves Floucat est un philosophe thomiste français, spécialiste internationalement reconnu de l’œuvre de Jacques Maritain et de celle de saint Thomas d’Aquin. Il est maître de conférences honoraire à la Faculté de philosophie de l’Institut catholique de Toulouse et membre de l’Académie Pontificale Saint Thomas d’Aquin. Il est le fondateur du premier centre Jacques Maritain.

Depuis quelques mois, suite à la publication du chapitre « le Code Maritain » dans mon livre Sodoma, les réactions se multiplient autour de l’homosexualité, réelle ou supposée, du philosophe français Jacques Maritain (dans mon livre je parle seulement de son « homophilie » – les mots ont leur importance). De nombreux points de vue ont déjà été publiés sur ce sujet, par exemple dans La Croix et dans Le Point. Mon éditeur, Jean-Luc Barré a pour sa part défendu ma position et mon chapitre de Sodoma dans une interview.

Cette semaine, le fondateur du centre Jacques Maritain, Yves Floucat entre dans le débat. Il m’a fait parvenir la lettre suivante que je publie ici avec son autorisation. Pour lui, Maritain avait « une indéniable tendance homophile » et il ne sert à rien de nier cette réalité.

Frédéric Martel

 

Cher Frédéric Martel,
Je voulais vous écrire depuis longtemps…
Je voulais vous dire que j’ai lu avec attention votre dernier livre d’un bout à l’autre. Sans me surprendre beaucoup – le Vatican est un milieu clos -, il m’a beaucoup intéressé. On vous a fait des reproches qui ne tiennent pas la route. Certains ont cherché un traité de sociologie alors qu’à mes yeux, vous avez surtout voulu faire une enquête qui peut, en effet, servir de base à une réflexion. Vous amorcé celle-ci du reste. Vous le pensez bien, je n’approuve pas toutes vos conclusions, mais vous êtes tout à fait libre de les développer comme vous le faites et je ne vois pas pourquoi on vous le reprocherait…
Le chapitre sur Jacques Maritain a bien évidemment retenu mon attention. Merci d’avoir reproduit fidèlement mes propos. Je ne mesure pas l’influence qu’a pu avoir la pensée de Maritain sur les prélats ou simple prêtres dont vous parlez quant à la question de l’amour d’amitié, car il a peu écrit sur le sujet. En revanche, il est certain qu’il a eu une énorme influence sur tous les acteurs du dernier concile et sur le pape Paul VI lui-même, qui était un de ses grands amis et qui avait été le traducteur en italien d’un ouvrage du philosophe (Trois Réformateurs : Luther, Descartes, Rousseau).
Je n’ai pas été trop surpris par les réactions du Cercle d’Études J. et R. Maritain sous la plume des historiens Florian Michel et Michel Fourcade. Je leur ai dit clairement mon désaccord. Cela fait longtemps que je leur dis que je ne vois pas quel problème (même pour une éventuelle béatification) pose la reconnaissance d’une indéniable tendance homophile (plus ou moins consciente) chez Maritain et je ne comprends pas qu’ils reculent la publication de la correspondance du philosophe avec Psichari, qui ne laisse pourtant aucun doute (l’argument qui s’appuie sur « le style de l’époque » ou « de l’adolescence » a bon dos…).
À ce propos, je me suis demandé si vous vous étiez intéressé au cas de Louis Massignon (le grand islamologue) qui, jeune homosexuel, s’est brusquement converti au catholicisme en 1908. Il était un proche de Maritain. Massignon a été quasiment contraint de se marier avec une cousine (dont il a eu des fils) alors qu’il avait une vocation indéniablement sacerdotale. C’est le pape Pie XII qui lui a donné la permission de passer au rite oriental de sorte qu’il a pu devenir prêtre catholique de ce rite grec-catholique dans les dernières années de sa vie. On lui demandait simplement de célébrer discrètement, soit chez lui, soit dans l’église Saint Julien le Pauvre à Paris (une église qu’aimait beaucoup Julien Green). Dans sa correspondance avec Green, Maritain recommande à ce dernier de lire la Prière sur Sodome de Massignon.
Yves FLOUCAT
Fondateur du premier centre Jacques Maritain. Membre de l’Académie Pontificale Saint Thomas d’Aquin. Philosophe, spécialiste internationalement reconnu de de saint Thomas d’Aquin et de la pensée de Jacques Maritain.